CHAPITRE X
Corran Horn leva les yeux de son databloc.
— La liste de contrôle est correcte. Tout est prêt.
L’amiral Kre’fey accompagna Corran jusqu’au hangar d’atterrissage du Ralroost où attendait son transporteur, un vieux cargo décrépit.
— Mes ingénieurs m’ont assuré que le Dernier Espoir serait capable de décoller. Mais ils ignorent combien de temps il tiendra le coup après ça…
— Je comprends, amiral. Nous savions depuis le départ que c’était risqué. Si ça marche, tant mieux. Sinon, faites en sorte que mes erreurs vous servent de leçon.
L’infiltration d’une planète occupée était toujours un problème. Souvent, on « déguisait » le vaisseau en météorite, reprenant le contrôle quand il était trop bas pour être détecté. L’absence d’impact était révélatrice, mais l’équipe de renseignements avait le temps de se mettre en sécurité avant l’arrivée des ennemis.
Avec les Yuuzhan Vong, le problème était plus complexe, car la Nouvelle République ignorait les capacités exactes de leurs détecteurs. Il avait donc été décidé de ne pas tenter de cacher l’arrivée du vaisseau. Le Dernier Espoir s’écraserait sur Garqi et tout son équipage « périrait dans l’accident », comme le montreraient les traces de matière biologique soigneusement éparpillées dans le vaisseau.
Sans toucher à rien, Corran traversa la passerelle, fit signe à l’amiral, puis gagna le hangar principal du cargo, où l’attendait un vaisseau beaucoup plus petit, une navette de luxe. Les six Noghri étaient entassés à l’arrière. A côté d’eux, Ganner avait l’air mal à l’aise, coincé entre différentes pièces d’équipement, les genoux sous le menton.
Corran se glissa à côté de Jacen et prit place sur l’autre siège du cockpit. Il boucla son harnais avant d’appeler le Ralroost.
— Dernier Espoir au rapport. Prêt.
— Bien reçu, Espoir. Deux minutes avant l’inversion.
Corran lança la séquence de démarrage. Les deux moteurs vrombirent ; celui de tribord ne donnait que soixante-quinze pour cent de sa capacité.
— Jacen, peux-tu remonter de dix pour cent la puissance du moteur tribord ?
— A vos ordres.
Corran appuya sur un bouton ; l’écran de commande du Dernier Espoir disparut, remplacé par celui du Meilleure Chance, la navette où ils étaient installés. Tout allait bien.
— Les moteurs du Dernier Espoir sont équilibrés, annonça Jacen.
— Parfait. Les charges sont fonctionnelles ?
— Prêtes à exploser à votre commandement.
— Très bien. Allons-y !
Corran se força à sourire. Le plan était simple : le Dernier Espoir quitterait le Ralroost et plongerait vers Garqi. Ses moteurs lâcheraient et il exploserait en entrant dans l’atmosphère. Le Meilleure Chance en profiterait pour s’éclipser.
Quand les Yuuzhan Vong auraient fini de rassembler les débris et s’aviseraient que quelque chose clochait, l’équipe de reconnaissance serait repartie vers la Nouvelle République.
Le problème était l’absence d’hyperpropulsion. La navette quitterait le système seulement en ralliant un vaisseau, comme le Ralroost. Ça rendrait une exfiltration d’urgence plus difficile.
Corran passa sur la fréquence interne de la navette.
— Tenez-vous bien, dit-il aux Noghri et à Ganner. Avec un peu de chance, nous arriverons vivants sur Garqi.
L’aile X de Jaina quitta sa bulle de rétention d’atmosphère, dans le hangar de décollage inférieur du Ralroost. Elle fit pivoter son chasseur pour le placer dans l’Escadron Rogue.
Anni Capstan, son équipière, Rogue Douze, sortit ensuite, suivie par Rogue Alpha, une aile X pilotée par le général Antilles.
La voix du colonel Gavin Darklighter retentit sur la fréquence de l’escadron.
— Vol Deux, prenez la tête. Vol Un derrière moi, Vol Trois dessous. Stabilisateurs en position d’attaque.
Le major Alinn Varth obéit.
— Suivez-moi, Trois. Resserrez-vous, Brindilles.
Jaina réprima un sourire. Ses camarades l’appelaient ainsi à cause de son sabre laser, et parce qu’elle utilisait un manche à balai pour diriger son aile X. Elle considérait le surnom comme une preuve que les autres, tous beaucoup plus âgés et expérimentés qu’elle, l’acceptaient. Loin de lui tenir rigueur de ses origines, ils s’étaient même vantés auprès des nouvelles recrues de sa présence dans l’escadron.
— A vos ordres, Neuf. Sparky, préviens-moi si je dérive de nouveau de la formation.
Le droïd bipa.
— Rogues, ici le contrôleur de vol, annonça le colonel Celchu. Dix skips arrivent de Garqi. Le trajet d’interception est en cours de transmission.
Les skips, ou coraux skippers, étaient des chasseurs similaires aux ailes X dans l’utilisation, mais très différents de conception, puisqu’il s’agissait de créatures organiques. Le pilote s’interfaçait à son vaisseau grâce à un « capuchon » qui relayait ce que le navire « éprouvait » et transmettait ses ordres en lisant ses ondes mentales.
Jaina frissonna. Son oncle avait essayé un de ces capuchons gélatineux, mais on ne lui avait pas proposé d’en faire autant.
Elle ne s’en plaignait pas.
Jaina regarda son écran.
— Neuf, deux skips se dirigent vers le Dernier Espoir.
— Bien reçu, Brindilles. Douze et vous, occupez-vous-en.
Anni envoya un double clic sur l’unité com pour indiquer qu’elle avait bien reçu le message.
— Je prends la tête, Douze, dit-elle.
Jaina coupla ses lasers et braqua son réticule de visée sur l’ennemi le plus proche avant de tirer, bombardant l’adversaire de rayons d’énergie rouges.
A dix mètres de leur cible, les rayons infléchirent leur course. Les basals dovin du corail skipper créèrent un trou noir pour absorber l’énergie. Afin de protéger efficacement le vaisseau, il leur fallait déplacer l’anomalie gravitationnelle. Quelques décharges de laser atteignirent la coque, faisant fondre le corail yorick en plusieurs points.
Déséquilibré, le vaisseau de tête tomba en vrille vers Garqi.
Le second navire manœuvra habilement, évitant les tirs. Le pilote avait compris que l’agilité, lors d’un combat spatial, était aussi importante sinon plus que s’abriter derrière les basals dovin.
Il se rapprocha de sa cible…
— Couvrez-moi, Brindilles.
— Bien reçu, Douze.
L’aile X d’Anni Capstan vira à bâbord et lâcha une salve de laser sur le skip. Le pilote yuuzhan vong dut déployer un trou noir pour absorber les coups.
Jaina vit le nez de l’appareil d’Anni se redresser. Pourquoi ne tirait-elle plus ?
Le vaisseau ennemi prit de la vitesse.
Deux torpilles à protons jaillirent des flancs du chasseur d’Anni…
Depuis toujours, les avis étaient partagés sur le recours aux torpilles à protons contre d’autres chasseurs. D’aucuns l’assimilaient à l’emploi d’une vibrohache pour tuer un insecte.
Pourtant, comme ça, on est sûr qu’il est mort !
Le pilote yuuzhan vong avait-il compris la manœuvre ? Ou allait-il périr en pensant que son adversaire avait eu de la chance ?
Il tenta de déployer un autre trou noir pour intercepter les torpilles, mais réussit seulement à dévier le trajet de la seconde.
La première le percuta de plein fouet. Le vaisseau explosa.
— Superbe coup, Douze !
Tu es en sécurité maintenant, Jacen, pensa Jaina. A cet instant, une terrible explosion secoua le vaisseau, qui tomba en direction de Garqi.
Jacen ressentit plus douloureusement l’angoisse de sa sœur que le contrecoup de l’explosion. Il aurait voulu la contacter mentalement et l’assurer qu’il allait bien ; il ne le pouvait pas.
Il n’avait pas aimé faire croire à sa sœur qu’il était mort, mais il n’avait pas le choix. Personne ne savait ce que les Yuuzhan Vong pouvaient déchiffrer en termes de communication d’émotions.
Que nous ne les percevions pas à travers la Force ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas nous percevoir.
C’était le seul moyen d’assurer le secret : que tout le monde croie que le Dernier Espoir avait explosé, afin d’émettre les émotions appropriées.
— Jacen, mon écran montre une connexion défectueuse à J-14.
— Une seconde, Corran. (Les doigts de Jacen coururent sur sa console.) J-14 a explosé prématurément. J-13 et J-15 tiennent le coup pour le moment, mais la pression est déjà au-delà des normes !
— Préparez les deuxièmes charges et faites-les sauter à mon commandement. Ce n’est pas le moment de vous soucier de votre sœur !
— A vos ordres, monsieur.
Jacen programma la séquence de la deuxième explosion. Six des huit charges étaient au vert, mais les deux plus proches de J-14 avaient viré au rouge.
— Corran, nous avons un problème avec J-13 et J-15 !
— Je les ai sur l’écran.
Jacen regarda l’image venue des holocams montées sur la coque du Dernier Espoir, qui permettait de voir ce qui se passait tandis que le cargo condamné tombait sur la planète.
Le métal vira au rouge à cause de la friction de l’atmosphère.
— Ganner, dit Corran dans l’intercom, regarde par le hublot tribord. Tu vois les deux charges explosives sur l’étançon ? Elles sont au rouge.
— Je les vois.
— Peux-tu utiliser la Force pour comprimer les détonateurs et provoquer l’explosion ?
— Je n’ai jamais tenté un trac pareil...
— Il nous faut essayer maintenant ! Si tu ne peux pas avoir les deux, concentre-toi sur la charge supérieure, et fais-la sauter à mon signal. Jacen, dès que ses charges exploseront, faites détoner les vôtres.
— A vos ordres.
Corran appuya sur plusieurs touches, alimentant en énergie les bobines de répulseur, ce qui isolerait un peu la navette des soubresauts du Dernier Espoir.
Le cargo vira à bâbord quand la coque perforée aspira l’atmosphère. Corran essaya de maintenir le cargo sur une trajectoire droite, puis coupa l’alimentation des moteurs du Dernier Espoir. Le vaisseau vibra.
— Tenez-vous prêts ! Ça ne sera pas facile. Ganner, maintenant !
Jacen sentit la Force se focaliser sur les explosifs. La première charge sauta.
Sans attendre, le jeune Jedi enfonça une touche sur sa console, faisant détonner le reste des explosifs. La coque du cargo se fendit.
Corran appuya sur un bouton. Le Dernier Espoir et le Meilleure Chance se séparèrent. La navette quitta le cargo en tourbillonnant. Corran ne tenta pas de redresser sa trajectoire ni de le stabiliser.
L’altimètre de la console de Jacen égrenait les kilomètres à toute allure. Six, quatre, deux… Un klick représentait leur marge de sécurité, mais Corran laissa le vaisseau continuer sa course folle.
Jacen ne perçut aucune anxiété chez Horn. Le jeune homme crut voir son père sur le siège de pilotage, poussant des limites de sécurité qu’il considérait trop larges.
Peut-être n’était-ce pas inhérent à l’identité corellienne, mais au fait d’avoir participé à la Rébellion. A l’époque, les pilotes avaient dû prendre des risques insensés pour libérer la galaxie.
Pour eux, la prudence venait après l’efficacité.
A cinq cents mètres au-dessus de la forêt tropicale de Garqi, Corran alimenta les bobines des répulseurs. Cela ralentit un peu la navette, mais ne l’empêcha pas de s’écraser sur les arbres. Puis les répulseurs entrèrent en action, faisant remonter le vaisseau au-dessus de la cime des arbres.
— Tout le monde va bien ? demanda Corran.
— Oui, dit Jacen.
A l’arrière, chacun annonça la même chose. L’unité com de la navette crépita.
— Ici le contrôle de vol. Le Ralroost rappelle tous les chasseurs.
— Ici Rogue Onze. Le cargo a des problèmes.
— Nous le savons, Onze. Il a explosé. Aucun signe de vie à bord.
Jacen sentit un frisson lui parcourir l’échine. A une telle distance, les détecteurs du chasseur de Jaina étaient trop faibles pour repérer des signes vitaux. Elle était forcée de croire à sa mort.
Jacen faillit céder à la tentation de la contacter à travers la Force, mais il se retint.
— Je sais que c’est dur, souffla Corran. On lui dira la vérité dès que le Ralroost sera hors de portée.
— Je n’ai jamais été obligé de lui faire une chose pareille !
— Et il serait formidable que vous n’ayez pas à le refaire, Jacen. Mais parfois, c’est la seule solution pour éviter de plus grands désastres. Devenir adulte, c’est en partie ça…
— Message reçu, fit Jacen. (Il appuya sur un bouton.) Je capte la fréquence de notre balise de contact. Direction deux-un-neuf.
Corran fit pivoter le vaisseau sur ces coordonnées et accéléra.
La navette slaloma entre les arbres.
Des anthropoïdes à fourrure s’éparpillèrent sur son trajet, terrifiés.
Avec un peu de chance, la forêt pourpre de Garqi dissimulerait leur arrivée aux Yuuzhan Vong, et leur permettrait de remplir leur mission…